mardi 14 janvier 2014

#Gabon: Un Journaliste écrit au ministre de la «Justice»



LETTRE AU MINISTRE DE LA JUSTICE

Madame le Ministre,

SOUVENT dans notre pays lorsque quelqu'un se met à dénoncer tout haut ce que d'autres pensent tout bas, on dit qu'il cherche à se faire remarquer par les décideurs aux fins d'être nommé à un poste de responsabilité. Pourtant, ce n'est pas forcément vrai. « Ce n'est pas parce que le coq chante tous les matins qu'on dira qu'il prépare un concours de chant,» disait mon grand père.

Le journaliste que je suis est l'archétype de citoyens qui voudraient accompagner les plus hautes autorités dans leur politique de développement du pays, lequel n'est encore qu'une terre en friche. Je suis donc obligé de monter au créneau pour dénoncer les pratiques qui nous maintiennent aux antipodes du progrès. Et, je le ferai toujours tant que le pays se portera mal. Mon aïeul disait : « Si la marche n'est pas finie, le balancement des bras ne finit pas.»

Madame le ministre, si je vous écris aujourd’hui c’est parce que vous brillez par des incartades qui donnent du grain à moudre aux pourfendeurs intéressés de la justice gabonaise. Quand vous brillez par des écarts de conduite, il va de soi que quelqu’un pour vous ramènera à l’ordre, quitte à vous donner des taloches. Puisque vous prêtez le flanc, ne vous plaignez pas des coups que vous recevez. « Si tu mets les doigts dans le mortier, ne crains pas le pilon », disait mon grand-père.

Sous tous les cieux, la justice permet de maintenir l’équilibre de la nation et influence son développement. Le Garde des Sceaux est l’artisan de la politique judiciaire. Or, à votre allure, vous ne donnez pas l'impression de vouloir compter parmi ceux qui orientent les choix de ce pays et pèsent sur son destin. Vous foutez plutôt de la pagaille dans l’appareil judiciaire, marchant sur les plates-bandes des magistrats. C’est à cause de cela qu’ils vous vouent une certaine inimitié. Mon grand-père disait: « Si tu ne veux pas que la mouche tsé-tsé devienne ton ennemi, que cherches-tu au bord du marigot ? »

C'est rageant de me rendre compte que vous êtes le premier obstacle de l’Etat de droit auquel aspire notre pays. Quel intérêt avez-vous eu à agir de la sorte ? Ce qui m'a offusqué dans vos incartades c'était votre abus d’autorité qui vous a amenée à vous affubler d’une tenue militaire pour aller détruire des scellés à la prison centrale de Libreville. Mais ce n’est pas votre ressort ! Mon grand-père disait : « Transporter de l’eau n’est pas le rôle du panier. » Etre ministre de la Justice ne fait pas de vous le procureur de la République. Mon jugement n’est pas une sentence, mais je constate que la veste de Garde des Sceaux est trop ample pour vous.

La célérité et l'enthousiasme avec lesquels vous êtes allée brûler les scellés à la prison centrale de Libreville amènent une question: quelle mouche vous a piquée pour agir au mépris du principe de la séparation des pouvoirs, qui vous interdit l’immixtion dans les procédures judiciaires? Manifestement, il vous sera difficile de vous hisser au niveau de vos prédécesseurs et de les effacer de la mémoire de vos collaborateurs. « Les traces de l’antilope n’effacent pas celles de l’éléphant», disait encore mon grand-père, grand chasseur de son époque.

Dans vos incartades, vous ne vous privez pas de vitupérer les magistrats, vous croyant très supérieure à eux parce que vous êtes leur ministre de tutelle. Mais vous vous trompez, Madame ! Finalement, mon aïeul n’avait pas tort, lui qui disait: « Le margouillat croit qu’il a grossi alors que c’est son ventre qui est ballonné. » Madame le ministre, à l'heure de l'émergence d'une conscience citoyenne, la justice doit jouer un rôle central, plus que jamais, dans l'élaboration en cours de nouvelles normes sociétales.

Il y a eu certes d'importantes incarcérations, ces dernières années, mais les feux de la justice ne sont pas allés jusqu’au bout de la rampe. Ce n’étaient que des arrestations spectaculaires pour attirer l'attention de l'opinion. « On trompe le bébé avec le sein pour pouvoir raser sa tête », aimait à dire mon grand-père. Dans notre pays, il existe encore une liste de citoyens qui ne peuvent pas être inquiétés par la justice. Des individus sur lesquels pèsent de lourdes charges continuent à se la couler douce. Mais les Gabonais sont en droit d'attendre les conclusions des enquêtes sur les crimes rituels annoncées à grands coups de cymbale !

Il me semble que nos prisons ne sont faites que pour les auteurs de larcins. Celui qui vole un coq a dix fois plus de ...malchance d'être envoyé au gnouf que celui qui aura détourné des milliards ou dépecé son semblable. A travers ce constat, on comprend aisément l'orgueil qui est le trait dominant de certains mis en cause. Aussi longtemps que règnera l’impunité, ces derniers continueront leurs actes abominables. C’est encore mon grand-père pétri de sagesse qui disait: « Tant que le singe ne te verra pas avec la tête de son semblable, il n’aura pas peur de toi. »

S’il est clairement établi qu’un haut dignitaire a commandité un assassinat avec prélèvement d’organe, le juge d'instruction doit l'envoyer au gnouf. Le faire ne serait pas lui brûler la politesse. Mon aïeul disait: «Si la barbichette était un signe de respect, on n'enverrait pas le bouc à l'abattoir.» La Déclaration universelle de droit de l'homme et du citoyen à laquelle notre pays a souscrit stipule en son article 7 que tous les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Mais pourquoi, diantre, assiste-t-on à une justice ségrégationniste ?

Les Gabonais attendent que vous œuvriez pour un véritable état de droit. Pour relever ce «challenge», il vous faut de l’harmonie avec les acteurs du monde judiciaire. Malheureusement, cela est votre talon d’Achille. Vous passez le plus de temps à demander le départ de tel ou tel autre collaborateur. En l’espace de trois ans, vous avez changé trois directeurs de cabinet, quatre directeurs de la prison centrale de Libreville et autant de conseillers en communication au mépris des textes. Etes-vous sûre que vous allez bien ? Il me semble que c’est vous qui avez un problème. Mon grand-père disait: « Si tu vois une image laide, vérifie qu’elle n’est pas ton reflet. »

Madame le ministre, j’ai juste voulu vous dessiller les yeux sur certains faits à même de vous pourrir la vie. Faites attention aux magistrats et autres collaborateurs que vous persécutez aujourd’hui, surtout que vous avez des choses à vous reprocher. Vous leur faites la fine bouche parce que vous êtes encore en position de force. Demain, ils pourront vous avoir dans leur nasse. Mon aïeul disait: « Si la poule dit que personne ne verra ses fesses, c’est qu’elle n’a pas encore tourné son derrière du côté du vent. »


Jonas MOULENDA

(A lire dans Echos du Nord de ce lundi)





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