Au Gabon, les politiciens
commanditent les meurtres rituels d'enfants
Augustine montrant une photo de sa fille Catherine, 4ans, assassinée et mutilée en Octobre 2013 dans la maison de son ancien petit ami
Dans un petit village caché
dans la forêt tropicale, à quarante kilomètres de la capitale gabonaise
Libreville, j'ai rencontré Augustine Bendome. Elle m’a conduite sur une route
déserte, à côté d'une maison en bois, délabrée, sans portes ni fenêtres. C’est
là qu’Augustine a trouvé en fin Octobre 2013, le corps de sa fille de quatre
ans, sans cœur, organes génitaux et langue.
Augustine Bendome est l'une
des nombreuses mères au Gabon dont l'enfant a été victime d'un meurtre rituel.
J'ai décidé d’aller dans l'ancienne colonie française afin d'examiner ce
phénomène.
Chaque année, une trentaine de
meurtres rituels sont enregistrés au Gabon. Le nombre réel devrait être
beaucoup plus élevé, car beaucoup de ces meurtres ne sont pas signalés ou sont
mal identifiés. Les meurtres rituels sont commis principalement sur des enfants
pour prélever des parties de leur corps - langue, cœur, lèvres et les organes
génitaux – qui sont enlevés et les victimes vidées de leur sang. Cela se
produit alors que la victime est toujours en vie. On soupçonne que ce sont
surtout les hommes politiques et les hauts fonctionnaires qui commanditent ce
genre de meurtres - ils utiliseraient alors ces organes pour des cérémonies afin
de renforcer leur position politique ou économique.
Les crimes sont organisés
selon une pyramide: au sommet les politiciens donnent l'ordre de l'assassinat à
des recruteurs qui sont dans la couche intermédiaire, qui gèrent les gens de la
couche inférieure de la pyramide qui sont les exécutants devant commettre les
meurtres et fournir les organes. Les tueurs au final sont généralement des
pauvres qui sont payés pour le faire.
Les meurtres rituels se
produisent dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, dont le Cameroun, le Congo
et le Libéria. L'origine exacte de ces meurtres rituels est peu connue. Ils peuvent
être comparés aux assassinats d'albinos en Tanzanie, où les gens croient aussi aux
pouvoirs magiques des parties du corps.
J'ai accepté de rencontrer
Jean-Elvis Ebang Ondo, fondateur de l'ONG Association de Lutte Contre les Crime
Rituels du Gabon (ALCR), dans son bureau au centre de Libreville. Il est
sérieux et rigide - aucune trace de sourire sur son visage quand il me serre la
main. Bientôt, je comprendrai pourquoi. Ebang Ondo a créé l’ALCR après que les
corps sans vie de son fils de douze ans et de son ami aient été trouvés sur la
plage à Libreville, mutilés, il y a neuf ans. Depuis, il se bat pour la justice
pour les victimes et contre le fait que les auteurs puissent souvent tuer en
toute impunité.
Ebang Ondo à l'endroit où son fils a été retrouvé. Sur ce tronçon d'une plage déserte à Libreville, les corps d'enfants mutilés sont retrouvés régulièrement. Les pneus avec des fougères (neuf au total) sont le symbole de chaque enfant retrouvé ici.
D’après Ebang Ondo, en 2013,
plus de trente meurtres rituels ont été signalés à son ONG. Il dit que le
nombre de meurtres augmente notamment avec les élections ou les remaniements
ministériels, "parce que les politiciens veulent aller de l'avant et pensent
que c'est la meilleure façon d'augmenter leurs chances."
Le gouvernement refuse de
répondre publiquement aux tueries et ne prend aucune mesure pour résoudre le
problème, de sorte que les auteurs peuvent continuer en toute impunité. La
chose la plus remarquable qui soit arrivée est la condamnation d'un auteur en
2009. Il a accusé le sénateur gabonais Gabriel Eyeghe Ekomie d’avoir reçu de
lui les organes après qu’il ait commandité l'assassinat d'une victime de douze
ans. Le sénateur n'a pas encore été jugé, l'auteur a reçu une condamnation à
perpétuité.
L’assassin est souvent une
personne connue de la victime. Cela signifie qu'il a un accès plus facile à
l'enfant, mais en faisant cela, l'effet est censé être plus fort parce que le
corps vient d'un être cher. Augustine soupçonne son ex-petit ami d’avoir assassiné
sa fille. "Il a dit qu'il devait se rendre à la plantation derrière ma
maison et y prendre quelque chose avec Catherine. Quelques heures plus tard, il
n'était pas revenu, puis je suis allé à leur recherche. J'ai trouvé Catherine
morte sur le chemin de sa maison", dit Augustine, avec des larmes aux yeux.
Depuis ce jour, elle n'a plus jamais eu de nouvelles de son ex-petit ami. Elle
m’a guidé vers un endroit derrière sa maison, où est située la tombe de sa
fille; avec une croix en bois.
Le tombeau de Catherine, derrière la maison d'Augustine. Elle n'avait pas d'argent pour un cercueil ou un enterrement organisé.
Dans une salle de classe d'une
école primaire, j'écoute l'histoire de la mère d’un enfant de sept ans Astride
Atsame. En Mars de l'année dernière, le corps d’Atsame a été trouvé parmi les
rochers en bord de mer. Sa mère a souvent raconté son histoire à la police et à
d'autres autorités, mais plus de dix mois après l’assassinat, il n'y a toujours
pas d'enquête. «Je suis bouleversée. L'assassin de ma fille est toujours au
large. Les gens qui devraient m'aider sont eux-mêmes impliqués dans le
processus. Ma foi en tout et envers tout le monde est complètement perdue",
dit-elle avec une voix qui se brise.
Mère de la petite Astride Atsame, coeur meurtri par le meutre de sa fille
Jusqu'à récemment, c’était un
tabou au Gabon de parler de crimes rituels. La création de l'ALCR a changé cela.
De plus en plus de gens osent faire entendre leur voix et se battent contre ce
phénomène publiquement. «Les pauvres qui ont perdu un membre de leur famille,
sont souvent soudoyés par des gens qui font partie de l'organisation
criminelle. Ainsi, ils sont réduits au silence. Maintenant, de plus en plus de
gens refusent l'argent, préférant rendre public leur histoire", dit Ebang
Ondo. En mai dernier, il y avait eu une marche contre les meurtres rituels dans
la capitale, où des nombreux Gabonais ont participé. Anonymous a fait de même
en ligne en diffusant un film choc et piratant des sites Web du gouvernement
gabonais.
Par Marthe Lem
Traduit du néerlandais.
D'abord publié dans Vice NL
24 Janvier 2014
Complément à l'article: Nous avons appris récemment d'un journal local du Gabon «Echos du Nord» que l'assassin de Catherine a été arrêté et il a donné les noms des commanditaires qui se trouvent être les politiciens. Lire cet article.
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