samedi 25 janvier 2014

Au #Gabon, les politiciens commanditent les meurtres rituels d'enfants (par Marthe Lem)




Au Gabon, les politiciens commanditent les meurtres rituels d'enfants


Augustine montrant une photo de sa fille Catherine, 4ans, assassinée et mutilée en Octobre 2013 dans la maison de son ancien petit ami


Dans un petit village caché dans la forêt tropicale, à quarante kilomètres de la capitale gabonaise Libreville, j'ai rencontré Augustine Bendome. Elle m’a conduite sur une route déserte, à côté d'une maison en bois, délabrée, sans portes ni fenêtres. C’est là qu’Augustine a trouvé en fin Octobre 2013, le corps de sa fille de quatre ans, sans cœur, organes génitaux et langue.

Augustine Bendome est l'une des nombreuses mères au Gabon dont l'enfant a été victime d'un meurtre rituel. J'ai décidé d’aller dans l'ancienne colonie française afin d'examiner ce phénomène.

Chaque année, une trentaine de meurtres rituels sont enregistrés au Gabon. Le nombre réel devrait être beaucoup plus élevé, car beaucoup de ces meurtres ne sont pas signalés ou sont mal identifiés. Les meurtres rituels sont commis principalement sur des enfants pour prélever des parties de leur corps - langue, cœur, lèvres et les organes génitaux – qui sont enlevés et les victimes vidées de leur sang. Cela se produit alors que la victime est toujours en vie. On soupçonne que ce sont surtout les hommes politiques et les hauts fonctionnaires qui commanditent ce genre de meurtres - ils utiliseraient alors ces organes pour des cérémonies afin de renforcer leur position politique ou économique.

Les crimes sont organisés selon une pyramide: au sommet les politiciens donnent l'ordre de l'assassinat à des recruteurs qui sont dans la couche intermédiaire, qui gèrent les gens de la couche inférieure de la pyramide qui sont les exécutants devant commettre les meurtres et fournir les organes. Les tueurs au final sont généralement des pauvres qui sont payés pour le faire.

Les meurtres rituels se produisent dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, dont le Cameroun, le Congo et le Libéria. L'origine exacte de ces meurtres rituels est peu connue. Ils peuvent être comparés aux assassinats d'albinos en Tanzanie, où les gens croient aussi aux pouvoirs magiques des parties du corps.

J'ai accepté de rencontrer Jean-Elvis Ebang Ondo, fondateur de l'ONG Association de Lutte Contre les Crime Rituels du Gabon (ALCR), dans son bureau au centre de Libreville. Il est sérieux et rigide - aucune trace de sourire sur son visage quand il me serre la main. Bientôt, je comprendrai pourquoi. Ebang Ondo a créé l’ALCR après que les corps sans vie de son fils de douze ans et de son ami aient été trouvés sur la plage à Libreville, mutilés, il y a neuf ans. Depuis, il se bat pour la justice pour les victimes et contre le fait que les auteurs puissent souvent tuer en toute impunité.

Ebang Ondo à l'endroit où son fils a été retrouvé. Sur ce tronçon d'une plage déserte à Libreville, les corps d'enfants mutilés sont retrouvés régulièrement. Les pneus avec des fougères (neuf au total) sont le symbole de chaque enfant retrouvé ici.

D’après Ebang Ondo, en 2013, plus de trente meurtres rituels ont été signalés à son ONG. Il dit que le nombre de meurtres augmente notamment avec les élections ou les remaniements ministériels, "parce que les politiciens veulent aller de l'avant et pensent que c'est la meilleure façon d'augmenter leurs chances."

Le gouvernement refuse de répondre publiquement aux tueries et ne prend aucune mesure pour résoudre le problème, de sorte que les auteurs peuvent continuer en toute impunité. La chose la plus remarquable qui soit arrivée est la condamnation d'un auteur en 2009. Il a accusé le sénateur gabonais Gabriel Eyeghe Ekomie d’avoir reçu de lui les organes après qu’il ait commandité l'assassinat d'une victime de douze ans. Le sénateur n'a pas encore été jugé, l'auteur a reçu une condamnation à perpétuité.

L’assassin est souvent une personne connue de la victime. Cela signifie qu'il a un accès plus facile à l'enfant, mais en faisant cela, l'effet est censé être plus fort parce que le corps vient d'un être cher. Augustine soupçonne son ex-petit ami d’avoir assassiné sa fille. "Il a dit qu'il devait se rendre à la plantation derrière ma maison et y prendre quelque chose avec Catherine. Quelques heures plus tard, il n'était pas revenu, puis je suis allé à leur recherche. J'ai trouvé Catherine morte sur le chemin de sa maison", dit Augustine, avec des larmes aux yeux. Depuis ce jour, elle n'a plus jamais eu de nouvelles de son ex-petit ami. Elle m’a guidé vers un endroit derrière sa maison, où est située la tombe de sa fille; avec une croix en bois.

Le tombeau de Catherine, derrière la maison d'Augustine. Elle n'avait pas d'argent pour un cercueil ou un enterrement organisé.

Dans une salle de classe d'une école primaire, j'écoute l'histoire de la mère d’un enfant de sept ans Astride Atsame. En Mars de l'année dernière, le corps d’Atsame a été trouvé parmi les rochers en bord de mer. Sa mère a souvent raconté son histoire à la police et à d'autres autorités, mais plus de dix mois après l’assassinat, il n'y a toujours pas d'enquête. «Je suis bouleversée. L'assassin de ma fille est toujours au large. Les gens qui devraient m'aider sont eux-mêmes impliqués dans le processus. Ma foi en tout et envers tout le monde est complètement perdue", dit-elle avec une voix qui se brise.


 
Mère de la petite Astride Atsame, coeur meurtri par le meutre de sa fille


Jusqu'à récemment, c’était un tabou au Gabon de parler de crimes rituels. La création de l'ALCR a changé cela. De plus en plus de gens osent faire entendre leur voix et se battent contre ce phénomène publiquement. «Les pauvres qui ont perdu un membre de leur famille, sont souvent soudoyés par des gens qui font partie de l'organisation criminelle. Ainsi, ils sont réduits au silence. Maintenant, de plus en plus de gens refusent l'argent, préférant rendre public leur histoire", dit Ebang Ondo. En mai dernier, il y avait eu une marche contre les meurtres rituels dans la capitale, où des nombreux Gabonais ont participé. Anonymous a fait de même en ligne en diffusant un film choc et piratant des sites Web du gouvernement gabonais.




Par Marthe Lem
Traduit du néerlandais.
D'abord publié dans Vice NL
24 Janvier 2014

Complément à l'article: Nous avons appris récemment d'un journal local du Gabon «Echos du Nord» que l'assassin de Catherine a été arrêté et il a donné les noms des commanditaires qui se trouvent être les politiciens. Lire cet article.




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