vendredi 28 octobre 2011

#Gabon: Intervention de Me Paulette O. Ondo devant la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples

Extrait de l'intervention de Maître Paulette OYANE ONDO le 19 octobre 2011 à Banjul (Gambie), en marge de la 50ème Session des États membres de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples  qui se tient à Banjul du 24 Octobre au 7 Novembre 2011.

Paulette O. Ondo, avocate et leader politique au Gabon


La situation des droits de l’Homme et de la démocratie n’a pas connu d’amélioration notable en Afrique centrale en trente ans d’existence de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et ce, malgré l’ouverture de la sous région au multipartisme dans les années 90.


J’affirme, sans grand risque d’être contredite, que les règles de gouvernance en vigueur dans la sous région sont contraires aux dispositions de la Charte.



Par exemple,  la ressource humaine dans tous les pays de la sous région  est gérée sur une base ethnique et selon laquelle l’accès à la promotion sociale d’un individu est tributaire, non pas mérite ni de sa valeur intrinsèque, mais  de son lieu de naissance et sa langue maternelle. Au Gabon, ce mode de gestion de la ressource humaine est connu sous le nom de géopolitique et est appliqué dans tous les aspects de la vie de la nation, même les plus infimes.



La ressource humaine est ainsi gérée sur une base discriminatoire. Or, la discrimination est interdite par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Les droits économiques sociaux et culturels ne sont pas davantage garantis aux populations en Afrique centrale.

Au Gabon par exemple, 500 femmes meurent en couches par an. L’espérance de vie est tombée à moins de 50 ans. Bon nombre de localités manquent de structures scolaires et sanitaires.

Pourtant, l’Afrique centrale est la région la plus riche d’Afrique en ressources naturelles, mais paradoxalement  c’est la région la moins avancée. Celle qui n’accomplit aucun progrès en termes de développement d’infrastructures (exception faite de la Guinée Équatoriale qui fait des miracles dans ce domaine), de développement humain, de démocratie et de respect des droits de l’Homme.

Le Gabon constitue un exemple emblématique de ce paradoxe.  Voici un pays qui est non seulement géographiquement petit, mais qui a également une faible densité en population d’à peine 1,5 million d’habitants. C’est un pays qui regorge de richesses naturelles de toute sorte. Cependant, le Gabon n’est pas capable de nourrir ses enfants. Tout ce que les gabonais consomment est importé. L’infrastructure routière est inexistante. Le système éducatif est si lacunaire que la plupart des localités du pays n’ont pas d’école. Le système de santé est tellement défaillant qu’il n’est pas rare, sur un rayon de 100Km de ne  trouver aucune structure sanitaire. L’eau et l’électricité sont des produits de luxe, etc.

Cette situation dramatique que vivent les populations d’Afrique centrale est la conséquence du fondement et du fonctionnement des pouvoirs politiques.

En effet, l’État et l’ensemble des institutions n’ont été pas conçus ni ne fonctionnent  pour l’intérêt général, leur raison d’être est exclusivement le maintien des régimes politiques en place.

Cela fait que les Parlements ne jouent pas leur rôle originel de représentants du peuple, mais assurent étrangement le service de l’Exécutif, ce qui rend vain le principe de la séparation des pouvoirs.

Les tenants des régimes politiques s’accaparent et confisquent toutes les richesses nationales pour leur jouissance personnelle, au détriment du plus grand nombre qui croupit dans une misère innommable.

Il en résulte que les mécanismes de la démocratie et du respect et de la protection des droits de l’Homme sont d’application impossible en Afrique centrale en l’état actuel des institutions.

Cette situation de blocage de la vie politique, de confiscation des richesses et d’exclusion  de la plus grande partie de la population par la minorité qui tient les rênes du pouvoir entraîne le plus souvent la dramatisation de la vie publique en période électorale.

Toutefois, il faut reconnaître qu’au fondement et au fonctionnement des institutions en Afrique centrale comme entraves à l’application des règles de démocratie et du respect des droits de l’Homme, il convient d’ajouter dans une certaine mesure le fait qu’il ne s’est pas opéré ce que Jean Jacques Rousseau a appelé la transformation du corps social d’individus en citoyens.

Il  y a plus d’individus que  de citoyens en Afrique centrale. Un citoyen est un individu qui est conscient de ses droits, qui se sent porteur du destin de son pays et qui par conséquent n’accepte pas « n’importe quoi ». Le citoyen est prompt à demander des comptes à ses gouvernants et à les sanctionner si leurs politiques portent atteinte à sa dignité, à son épanouissement et à son bien être.

Au Gabon, malheureusement, après 50 ans d’indépendance, les gabonais dans leur immense majorité ne sont pas devenus  des citoyens. Ils restent de simples individus qui acceptent tout et n’importe quoi. Dans certains cas, ils ne sont même pas conscients de leurs droits; dans d’autres cas, ils ne songent pas à en réclamer le respect. Ils sont si mithridatisés qu’ils se contentent devant n’importe quel évènement même le plus tragique de dire : « on va encore faire comment »,  traduction d’une fatalité déconcertante.

En conclusion, c’est la combinaison de la conception et du fonctionnement des pouvoirs politiques et de la mithridatisation de la population qui a donné lieu à l’arriération de l’Afrique centrale et qui entraîne des conséquences en termes de violations des droits de l’homme et de déficit démocratique que nous allons relever pays par pays.


(...)


Le Gabon est probablement le pays qui vit la situation la plus dramatique de l’Afrique centrale :

- Depuis l’élection présidentielle de 2009, toutes les personnes simplement soupçonnées de ne pas avoir soutenu l’élection de l’actuel  Président de la République ont perdu leur emploi.

- Aujourd’hui, en plus de la géopolitique, l’exclusion, la stigmatisation et l’ostracisassions d’une partie des gabonais tendent à s’institutionnaliser, en violation de la règle de non-discrimination  prévue par la Charte (sur les droits de l’Homme et des Peuples).

-En décembre 2010, le GABON a procédé à la révision de la constitution, sans obtention préalable du consensus national comme l’exige la Charte africaine de la démocratie qui est un texte subséquent de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, portant ainsi atteinte aux bonnes pratiques démocratiques.

-Le 1er Mai 2011, cinq camions de près cent gendarmes armés jusqu’aux dents  ont investi mon village du nom de KOUMASSI situé dans le Nord du Gabon ; Ils ont tiré des coups de feu, vandalisé mon domicile et profané la tombe de mon père. De telles exactions sont interdites par les dispositions de la Charte.

-Monsieur Marc ONA ESSANGUI, Prix Goldman 2009, défenseur des droits de l’Homme fait l’objet de menaces systématiques, de harcèlements incessants par des appels téléphoniques anonymes, dénigrement par voie de presse pro- gouvernemental.

-Dans le même mois, le Conseil National de le Communication a  suspendu de parution le Journal « ECHOS DU NORD » et du Journal "La Nation".

-En Juillet 2011 Monsieur Désiré ENAME, Directeur de Publication de l’hebdomadaire « ECHOS DU NORD » est enlevé et séquestré par la Police Judiciaire.

-Il y a plus de six mois, le Ministère de l’Intérieur a dissout l’Union Nationale, un parti politique de l’opposition. Or, la dissolution d’un parti politique par la puissance publique est totalement inconcevable en droit, ne serait-ce qu’en application de la règle du parallélisme des formes. Il n’y a que celui  qui a fait qui peut défaire. Au demeurant, l’Histoire moderne ne nous enseigne aucun cas de dissolution d’un parti politique. Les régimes politiques liberticides interdisent d’activités les partis qu’ils considèrent comme gênants, mais ne les dissolvent pas. Même l’Apartheid, l’un des pires régimes politiques que le terre ait porté n’a pas dissout l’ANC, il l’avait interdit d’exercice. Le régime politique du Gabon a réussi à faire pire que l’Apartheid, et a naturellement violé les dispositions de la Charte sur la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de réunion, les droits civils et politiques des membres de l’Union Nationale.

-Aux mois d’août 2011, pendant la période d’intersession parlementaire, le Président de la République a pris deux ordonnances modifiant la loi électorale dans le secret de son cabinet. Toutes les modifications apportées constituent des atteintes aux droits civils et politiques et aux libertés fondamentales.

-Pour avoir menacé d’exercer leur de grève, les membres du syndicat des enseignants dénommé CONASYSED ont  été suspendus de salaires pendant prés de 2 ans, portant ainsi atteinte à la liberté syndicale, au droit de grève, au droit au travail et à tous les droits qui lui sont interdépendants, droits garantis et protégés par la Charte.

- Depuis 2010, l’État a fait  des centaines de gabonais des sans abris en procédant aux expropriations sauvages sans dédommagement  ni même avertissement. Cette situation a causé des morts et de nombreux traumatismes. Or les expropriations sont considérées comme des violations massives des droits de l’Homme en qu’elles constituent une violation du droit au logement qui est un droit de l’Homme protégé par la Charte.

-Il y a deux jours, le Conseil National de la Communication a suspendu de parution les journaux « EZOMBOLO » et «  La GRIFFE », portant ainsi atteinte à la liberté d’expression garantie et protégée par la Charte.

-Il y a deux semaines, (des représentants de) Amnesty International é été refoulé du Gabon.

-Pour couronner le tout, il convient de relever que le Gabon n’a jamais présenté le moindre rapport devant la Commission des Droits de l’Homme et des Peuples. Le Gabon détient ainsi ce triste record dans le concert des nations africaines, quand on sait que c’est un fils du Gabon, Monsieur Isaac NGUEMA, qui a été le premier Président de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.


Me Paulette Oyane à Banjul, Octobre 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire