Paulette O. Ondo, avocate et leader politique au Gabon
La situation des droits de l’Homme
et de la démocratie n’a pas connu d’amélioration notable en Afrique centrale en
trente ans d’existence de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples et ce, malgré l’ouverture de la sous région au multipartisme dans les
années 90.
J’affirme, sans grand risque d’être contredite, que les règles de gouvernance en vigueur dans la sous région sont contraires aux dispositions de la Charte.
J’affirme, sans grand risque d’être contredite, que les règles de gouvernance en vigueur dans la sous région sont contraires aux dispositions de la Charte.
Par exemple, la ressource humaine dans tous les pays de la
sous région est gérée sur une base
ethnique et selon laquelle l’accès à la promotion sociale d’un individu est
tributaire, non pas mérite ni de sa valeur intrinsèque, mais de son lieu de naissance et sa langue
maternelle. Au Gabon, ce mode de gestion de la ressource humaine est connu sous
le nom de géopolitique et est appliqué dans tous les aspects de la vie de la
nation, même les plus infimes.
La ressource humaine est
ainsi gérée sur une base discriminatoire. Or, la discrimination est interdite
par la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Les droits économiques
sociaux et culturels ne sont pas davantage garantis aux populations en Afrique
centrale.
Au Gabon par exemple, 500
femmes meurent en couches par an. L’espérance de vie est tombée à moins de 50
ans. Bon nombre de localités manquent de structures scolaires et sanitaires.
Pourtant, l’Afrique centrale
est la région la plus riche d’Afrique en ressources naturelles, mais
paradoxalement c’est la région la moins
avancée. Celle qui n’accomplit aucun progrès en termes de développement
d’infrastructures (exception faite de la Guinée Équatoriale qui fait des
miracles dans ce domaine), de développement humain, de démocratie et de respect
des droits de l’Homme.
Le Gabon constitue un exemple
emblématique de ce paradoxe. Voici un
pays qui est non seulement géographiquement petit, mais qui a également une
faible densité en population d’à peine 1,5 million d’habitants. C’est un pays
qui regorge de richesses naturelles de toute sorte. Cependant, le Gabon n’est
pas capable de nourrir ses enfants. Tout ce que les gabonais consomment est
importé. L’infrastructure routière est inexistante. Le système éducatif est si
lacunaire que la plupart des localités du pays n’ont pas d’école. Le système de
santé est tellement défaillant qu’il n’est pas rare, sur un rayon de 100Km de
ne trouver aucune structure sanitaire.
L’eau et l’électricité sont des produits de luxe, etc.
Cette situation dramatique
que vivent les populations d’Afrique centrale est la conséquence du fondement
et du fonctionnement des pouvoirs politiques.
En effet, l’État et
l’ensemble des institutions n’ont été pas conçus ni ne fonctionnent pour l’intérêt général, leur raison d’être
est exclusivement le maintien des régimes politiques en place.
Cela fait que les Parlements
ne jouent pas leur rôle originel de représentants du peuple, mais assurent
étrangement le service de l’Exécutif, ce qui rend vain le principe de la
séparation des pouvoirs.
Les tenants des régimes
politiques s’accaparent et confisquent toutes les richesses nationales pour
leur jouissance personnelle, au détriment du plus grand nombre qui croupit dans
une misère innommable.
Il en résulte que les
mécanismes de la démocratie et du respect et de la protection des droits de
l’Homme sont d’application impossible en Afrique centrale en l’état actuel des
institutions.
Cette situation de blocage de
la vie politique, de confiscation des richesses et d’exclusion de la plus grande partie de la population par
la minorité qui tient les rênes du pouvoir entraîne le plus souvent la
dramatisation de la vie publique en période électorale.
Toutefois, il faut reconnaître
qu’au fondement et au fonctionnement des institutions en Afrique centrale comme
entraves à l’application des règles de démocratie et du respect des droits de
l’Homme, il convient d’ajouter dans une certaine mesure le fait qu’il ne s’est
pas opéré ce que Jean Jacques Rousseau a appelé la transformation du corps
social d’individus en citoyens.
Il y a plus d’individus que de citoyens en Afrique centrale. Un citoyen est
un individu qui est conscient de ses droits, qui se sent porteur du destin de
son pays et qui par conséquent n’accepte pas « n’importe quoi ». Le citoyen est
prompt à demander des comptes à ses gouvernants et à les sanctionner si leurs
politiques portent atteinte à sa dignité, à son épanouissement et à son bien
être.
Au Gabon, malheureusement,
après 50 ans d’indépendance, les gabonais dans leur immense majorité ne sont
pas devenus des citoyens. Ils restent de
simples individus qui acceptent tout et n’importe quoi. Dans certains cas, ils
ne sont même pas conscients de leurs droits; dans d’autres cas, ils ne songent
pas à en réclamer le respect. Ils sont si mithridatisés qu’ils se contentent
devant n’importe quel évènement même le plus tragique de dire : « on va encore
faire comment », traduction d’une
fatalité déconcertante.
En conclusion, c’est la
combinaison de la conception et du fonctionnement des pouvoirs politiques et de
la mithridatisation de la population qui a donné lieu à l’arriération de l’Afrique
centrale et qui entraîne des conséquences en termes de violations des droits de
l’homme et de déficit démocratique que nous allons relever pays par pays.
(...)
Le Gabon est probablement le pays qui vit la situation la plus dramatique de l’Afrique centrale :
- Depuis l’élection
présidentielle de 2009, toutes les personnes simplement soupçonnées de ne pas
avoir soutenu l’élection de l’actuel
Président de la République ont perdu leur emploi.
- Aujourd’hui, en plus de la
géopolitique, l’exclusion, la stigmatisation et l’ostracisassions d’une partie
des gabonais tendent à s’institutionnaliser, en violation de la règle de
non-discrimination prévue par la Charte
(sur les droits de l’Homme et des Peuples).
-En décembre 2010, le GABON a
procédé à la révision de la constitution, sans obtention préalable du consensus
national comme l’exige la Charte africaine de la démocratie qui est un texte
subséquent de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, portant
ainsi atteinte aux bonnes pratiques démocratiques.
-Le 1er Mai 2011, cinq
camions de près cent gendarmes armés jusqu’aux dents ont investi mon village du nom de KOUMASSI
situé dans le Nord du Gabon ; Ils ont tiré des coups de feu, vandalisé mon
domicile et profané la tombe de mon père. De telles exactions sont interdites
par les dispositions de la Charte.
-Monsieur Marc ONA ESSANGUI,
Prix Goldman 2009, défenseur des droits de l’Homme fait l’objet de menaces
systématiques, de harcèlements incessants par des appels téléphoniques
anonymes, dénigrement par voie de presse pro- gouvernemental.
-Dans le même mois, le
Conseil National de le Communication a
suspendu de parution le Journal « ECHOS DU NORD » et du Journal "La Nation".
-En Juillet 2011 Monsieur
Désiré ENAME, Directeur de Publication de l’hebdomadaire « ECHOS DU NORD » est enlevé et séquestré par la Police Judiciaire.
-Il y a plus de six mois, le
Ministère de l’Intérieur a dissout l’Union Nationale, un parti politique de
l’opposition. Or, la dissolution d’un parti politique par la puissance publique
est totalement inconcevable en droit, ne serait-ce qu’en application de la
règle du parallélisme des formes. Il n’y a que celui qui a fait qui peut défaire. Au demeurant,
l’Histoire moderne ne nous enseigne aucun cas de dissolution d’un parti
politique. Les régimes politiques liberticides interdisent d’activités les
partis qu’ils considèrent comme gênants, mais ne les dissolvent pas. Même
l’Apartheid, l’un des pires régimes politiques que le terre ait porté n’a pas
dissout l’ANC, il l’avait interdit d’exercice. Le régime politique du Gabon a
réussi à faire pire que l’Apartheid, et a naturellement violé les dispositions
de la Charte sur la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté
d’opinion, la liberté de réunion, les droits civils et politiques des membres
de l’Union Nationale.
-Aux mois d’août 2011,
pendant la période d’intersession parlementaire, le Président de la République
a pris deux ordonnances modifiant la loi électorale dans le secret de son
cabinet. Toutes les modifications apportées constituent des atteintes aux
droits civils et politiques et aux libertés fondamentales.
-Pour avoir menacé d’exercer
leur de grève, les membres du syndicat des enseignants dénommé CONASYSED
ont été suspendus de salaires pendant
prés de 2 ans, portant ainsi atteinte à la liberté syndicale, au droit de
grève, au droit au travail et à tous les droits qui lui sont interdépendants,
droits garantis et protégés par la Charte.
- Depuis 2010, l’État a
fait des centaines de gabonais des sans
abris en procédant aux expropriations sauvages sans dédommagement ni même avertissement. Cette situation a
causé des morts et de nombreux traumatismes. Or les expropriations sont
considérées comme des violations massives des droits de l’Homme en qu’elles constituent
une violation du droit au logement qui est un droit de l’Homme protégé par la
Charte.
-Il y a deux jours, le
Conseil National de la Communication a suspendu de parution les journaux «
EZOMBOLO » et « La GRIFFE », portant
ainsi atteinte à la liberté d’expression garantie et protégée par la Charte.
-Il y a deux semaines, (des
représentants de) Amnesty International é été refoulé du Gabon.
-Pour couronner le tout, il
convient de relever que le Gabon n’a jamais présenté le moindre rapport devant
la Commission des Droits de l’Homme et des Peuples. Le Gabon détient ainsi ce
triste record dans le concert des nations africaines, quand on sait que c’est
un fils du Gabon, Monsieur Isaac NGUEMA, qui a été le premier Président de la
Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Me Paulette Oyane à Banjul, Octobre 2011