À l’intention de :
M. Alain Juppé
Ministre des Affaires étrangères
37, Quai d’Orsay
75351 Paris
Paris, le 9
décembre 2011
Objet : Lettre ouverte concernant la position de
l’Etat français vis-à-vis du gouvernement gabonais (LIRE DOSSIER COMPLET SUR LE GABON À LA FIN DE LA LETTRE)
Monsieur le
Ministre,
Le Gabon
organise des élections législatives le 17 décembre 2011. Notre association,
Survie, tient à vous alerter sur la situation qui prévaut à quelques jours de
ces élections, concernant la préparation des élections et, plus largement, la
situation sociale et politique.
Ali Bongo a
été déclaré président suite à l’élection présidentielle de 2009, alors même que
de nombreuses voix et observateurs internationaux ont souligné les fraudes
massives du scrutin et l’absence de transparence des résultats. Depuis cette
élection extrêmement contestée, la façon de gouverner d’Ali Bongo ne se
différencie guère de la politique dictatoriale de son père. Les structures institutionnelles
n’ont guère évolué et de l’Assemblée nationale au Sénat, en passant par la Cour
constitutionnelle, le Conseil national de la communication et la Commission
électorale autonome et permanente, le parti au pouvoir règne en maître absolu.
Depuis 2009
et plus particulièrement cette dernière année, de nombreuses personnalités de
la société civile, de partis d’opposition et même du parti au pouvoir (1),
dénoncent cette situation. Elles insistent, entre autres, sur le changement de
constitution qui a arrogé de très nombreux pouvoirs au chef de l’Etat, et ne
permet ni l’indépendance de la justice, ni le contrôle démocratique des forces
militaires. Ces acteurs soulignent également le manque de transparence autour
du processus électoral pour les élections législatives à venir.
Depuis sa
création en février 2011, le mouvement « Ça suffit comme ça ! » qui regroupe de
très nombreux acteurs des syndicats, d’ONG, des personnalités politiques ainsi
que des membres des différentes confessions, réclame la démocratie et dénonce
des institutions au service exclusif du clan Bongo et du pouvoir.
Ce
mouvement appelle à boycotter ou refuser les élections législatives, reprochant
l’absence certaine de transparence du processus électoral et l’absence de prise
en compte de leurs revendications. La démocratie suppose, en effet, des
institutions fortes qui reflètent la pluralité des acteurs de l’expression
démocratique gabonaise. Les principaux partis d’opposition, le MESP de Mwang Mbanding,
la majorité des cadres de l’UPG dont le leader Pierre Mamboundou vient de
décéder, et les candidats de l’Union National – parti interdit et dirigé par Mba
Obame – refusent de se prêter au jeu de ces élections.
Face à ces
mouvements sociaux et politiques, Ali Bongo et son gouvernement refusent tout
dialogue, font pression sur les individus et les partis d’opposition,
n’hésitent pas à licencier des fonctionnaires, et utilisent la répression
policière et militaire – comme ce fut le cas à Port-Gentil en septembre 2009, en
contestation du résultat officiel des élections, où de nombreux morts ont été
dénombrés (2).
Militaires tentant d'empêcher un rassemblement de l'opposition à Bitam, Nord du Gabon
Le
gouvernement français avait légitimé l’élection d’Ali Bongo en août 2009 en
reconnaissant le prétendu vainqueur. Le secrétaire d’Etat à la Coopération de
l’époque, Alain Joyandet, avait repris le 15 octobre 2009 à Libreville
l’affirmation selon laquelle « le déroulement du scrutin comportait certes quelques
faiblesses, mais en tout état de cause, ça ne pouvait pas remettre en cause la
validité dudit scrutin ». L’exécutif français poursuit depuis d’excellentes
relations avec le gouvernement gabonais, comme l’illustrent diverses visites
d’Ali Bongo à l’Elysée ou du Président de la République et du Premier Ministre
français au Gabon. Ces relations sont de plus marquées par les très lourds
soupçons de financement occulte alimentés par les déclarations récentes de
Messieurs Bourgi, Bonnecorse et Jocktane, par les pressions politiques sur
l'affaire judiciaire des Biens Mal Acquis, ou encore par le refus injustifiable
de laisser entrer sur le territoire français un militant d'ATTAC Gabon pourtant
détenteur d'un visa, juste au moment d'une tournée en Europe d'Ali Bongo, fin
octobre. Il faut dire que le gouvernement français actuel ne cache pas
l'importance stratégique de sa relation avec le Gabon, notamment sur le plan
militaire, puisque le pays est le « premier point d’ancrage de nos forces pré-positionnées
sur la façade atlantique du continent », comme l’indique sans ambages le site Internet
du Ministère des Affaires Étrangères.
A l’heure
où les révolutions en Tunisie, en Egypte ou en Syrie montrent qu’il n’est plus
possible de soutenir des dictateurs contre leur peuple, et où votre
gouvernement dit s’engager pour la démocratie, les droits humains et la
transparence des élections comme gage de démocratie, nous vous demandons d’être
cohérent entre vos déclarations et vos actes, et de cesser de bafouer ces
principes lorsqu’il s’agit des pays issus des anciennes colonies françaises
d’Afrique.
Monsieur le
Ministre, vous devez opérer un réel changement dans votre politique vis-à-vis
du Gabon.
La France
ne doit pas freiner les changements politiques en cours chez ses alliés, au
moment où des peuples essaient de conquérir leur démocratie.
Nous
invitons la diplomatie française à cesser de cautionner le régime actuellement
en place au Gabon, notamment en cessant de valoriser son rôle au niveau
international ou aux Nations Unies, et à interpeller Ali Bongo et son
gouvernement sur la situation de la démocratie au Gabon. Nous vous demandons
notamment de faire savoir votre préoccupation concernant la tenue d’élections législatives
préparées sans transparence et sans respect des engagements pourtant pris par
l’Etat lui-même vis-à-vis des diverses composantes politiques et de la société
civile en mai 2011.
Les routes Économique" du Gabon: l'argent du pétrole sert-il les intérêts des Gabonais?
Il nous semble primordial que la diplomatie française, qui se dit sensible aux aspirations des peuples, prenne publiquement ses distances avec Ali Bongo tant que n'auront pas été organisées des élections reconnues comme libres et transparentes par les diverses composantes sociales et politiques gabonaises, dont, notamment, le mouvement « Ca suffit comme ça! ».
Veuillez
croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération.
Pour
l'association Survie,
Thomas
Borrel, vice-président.
75010 PARIS
Tél. : (33-1) 446103 25
Fax : (33-1) 44 61 03 20
(1) C'est
le cas des député Paulette Oyane Ondo et Jean Christophe Owono, suspendus du
parti présidentiel suite à ces prises de position.
(2) Trois
morts, selon le parti au pouvoir ; 22 selon le journal « L’Union », réputé
proche du pouvoir ; 57 selon l’opposition.
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