Libreville, le 13 avril 2013
Madame, Monsieur,
Vous avez été pressentis par M. Richard Attias
pour prendre part, au Gabon, à la deuxième édition du New York Forum for Africa
(NYFA), du 14 au 17 juin 2013, dont l’objectif ultime demeure la glorification
d’Ali Bongo.
Nous sommes convaincus, à bien des égards, que
nous partageons les valeurs que vous défendez. Comme vous, nous croyons en la
démocratie. Comme vous, nous sommes attachés à la liberté d’expression. Comme
vous, nous croyons que l’État doit être fort et juste, qu’il doit protéger les
faibles et garantir la sécurité des puissants. Comme vous, nous savons que
l’Afrique finira bien par s’éveiller et par offrir à ses populations la qualité
de vie à laquelle elles aspirent légitimement. Comme vous, nous soutenons les
progrès scientifiques, technologiques et sociétaux.
Cependant, nous nous devons de vous rappeler
que le Gabon est une République et non une monarchie dynastique. Nous nous
devons de vous rappeler qu’Ali Bongo a succédé à son père qui a dirigé le Gabon
pendant plus de quatre décennies, dans des conditions scabreuses et en faisant
usage de la force. Nous nous devons de vous rappeler que l’arrivée d’Ali Bongo
à la tête du Gabon s’est imposée au prix du sang des Gabonais, tombés sous les
balles d’une armée transformée en milice privée et dirigée par des membres de
la parentèle d’Ali Bongo. Ces faits historiques et vérifiables ne peuvent être
ignorés de vous.
Nous ne vous ferons pas l’injure de dresser un
tableau exhaustif de la situation des droits humains et plus largement de la
gouvernance au Gabon, car nous sommes convaincus que vous en savez autant que
nous.
Nous croyons fermement que vous savez que le
Gabon est un pays où la corruption, les détournements de deniers publics,
l’enrichissement illicite ont été érigés en principes de gouvernement.
Nous sommes convaincus que vous savez que la
justice gabonaise est instrumentalisée à des fins politiques et personnelles.
Nous sommes convaincus que vous savez que la
presse est l’objet de harcèlement et de répressions systématiques de la part
d’un Conseil National de la Communication aux ordres.
Nous sommes convaincus que vous avez entendu
parler de cette pratique barbare de sacrifices humains pudiquement nommée
"crimes rituels". Oui, nous sommes convaincus que vous savez que
depuis l’avènement d’Ali Bongo au pouvoir, nous assistons à une recrudescence
des crimes rituels dont les coupables et les commanditaires jouissent d’une
impunité totale. Devons-nous vous signaler que ces crimes consistent à
prélever, à vif, les organes d’un individu (yeux, langue, clitoris, poumons,
cœur, sang…) à des fins fétichistes ?
Nous savons que les crimes rituels sont
commandités par les hommes du pouvoir, à la recherche de la gloire, du pouvoir
et de l’argent. Devons-nous vous indiquer que des ministres du gouvernement actuel,
réputés proches parmi les proches d’Ali Bongo, ont été nommément cités dans ces
affaires sans que ce dernier ne s’en émeuve le moins du monde, qu’en avril
2013, le gouvernement a interdit l’organisation d’une marche pacifique de la
société civile contre les sacrifices humains et que les forces d’oppression ont
dispersé et gardé à vue les manifestants de celle qui s’est, malgré tout, tenue
le samedi 11 mai dernier ?
Nous vous informons que notre lutte contre le fléau de crimes rituels au Gabon nous a valu le soutien des cyberactivistes Anonymous dans un message d’avertissement envoyé le 13 avril dernier au
pouvoir, et que nous continuons à nous battre pour que justice soit faite.
Nous en sommes donc à nous demander quel sens
prendra votre présence au Gabon.
Nous en sommes à nous demander quelle part les
cautions d’Ali Bongo réservent-elles au respect des droits des citoyens et de
la vie humaine. Nous en sommes à nous demander si les valeurs que vous
professez ont une portée universelle, si ce qui est valable sous d’autres
latitudes l’est aussi chez nous. Comment devons-nous interpréter le fait que
vous soyez prêts à venir cautionner un pouvoir illégitime, brutal,
anti-démocratique et qui prive de nombreux Gabonais de leurs droits civils et
politiques au seul prétexte qu’ils ont affirmé haut et fort leur opposition à
une dévolution monarchique du pouvoir ?
Comment expliquer que vous soyez indifférents
au sort de nos enfants égorgés à des fins fétichistes ? Comment expliquer que
l’on puisse fermer les yeux devant le fait que nos enfants s’entassent dans des
salles de classes de plus de cent élèves, qu’Ali Bongo n’ayant pas jugé utile
de construire une seule école depuis son accession au pouvoir en vienne à
réquisitionner les vestiaires d’un stade de football en guise de salles de
classe ?
Comment comprendre que vous soyez prêts à vous
associer à une manifestation onéreuse dans un pays où des femmes accouchent
encore à même le sol et où les étudiants de l’unique université du pays
étudient dans des conditions plus que déplorables (cf. reportage de France 24, Les Observateurs, diffusé le 6 avril 2013) ?
Convaincus que vous portez en vous les nobles
valeurs d’humanité, de liberté, d’égalité de chances et que vous placez la
dignité humaine au-dessus de tout, nous vous demandons d’examiner, en
conscience, l’opportunité de votre participation au NYFA.
Nous en appelons à votre conscience, à votre
humanité et vous demandons de renoncer à prendre part à cet événement qui n’est
que pure opération de communication à la gloire d’Ali Bongo. Sauf, bien
entendu, si vous estimez que les retombées de la 1ère édition du NYFA sont
pertinentes et tangibles. Pour notre part, nous ne voyons absolument pas en
quoi cette édition a profité aux peuples du monde, d’Afrique ou du Gabon. Nous
savons que vous avez le sens de l’histoire et vous demandons d’analyser la
portée historique de votre participation à cet événement. Parce que le peuple
gabonais serait très honoré de vous accueillir en d’autres circonstances, nous
affirmons que votre participation au New York Forum Africa sera, pour nous, une
prise de position ouverte contre le peuple gabonais.
Pour la bonne règle, nous vous informons que le
contenu de la présente sera communiqué à la presse et aux organisations de la
société civile et de défense des droits de l’Homme à travers le monde.
Nous espérons que vous comprenez notre
démarche.
Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression
de nos salutations distinguées.
Pour le Mouvement des Indignés du Gabon,
Grégory NGBWA MINTSA, Prix de l’Intégrité Transparency International 2009 et
2010 - contact : +241 06 24 61 57
Pour le Collectif des femmes contre les crimes
rituels – contact : Mme Blanche SIMONNY ABEGUE +241 06 49 08 39
Pour le mouvement citoyen « ça suffit comme ça
», Marc ONA ESSANGUI, Prix Goldman 2009 - contact : +241 07 29 41 40
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