Emergence, le riche concept qui ne paye pas
Côté pile, le Gabon
macroéconomique et ses résultats dignes de figurer dans les manuels - très en vogue - de "l’Afrique qui
gagne" : la croissance devrait s'établir à 5,5% en 2013 (7,2% en 2012),
contre 2% en moyenne sous l’ère Omar Bongo. Ce pays dispose par ailleurs de
plus de six mois de réserves de change, affiche un
endettement extérieur modéré et un PIB par habi- tant de 10 000 $. L’envers du
décor est beaucoup moins flatteur. Alors
qu’Ali Bongo multiplie les chantiers dans le cadre de sa "politique de
l’émergence", l’Etat gabonais, à cours de cash, dispendieux et mal géré,
peine à financer la plupart des
projets. Le stade de la faisabilité est rarement dépassé, ce qui confère au
chef de l’Etat le sobriquet de "président des maquettes". A cela
s'ajoute un climat d'affaires
défavorable, qui contraint actuellement nombre d'entreprises à réduire la
voilure. Quand elles ne menacent pas de quitter le pays. Enquête.
Réveil
douloureux après la CAN.
Bien qu'elle ait été un
succès sur le terrain, la Coupe d’Afrique des nations organisée en 2012
illustre les profondes carences de l’Etat dans la gestion des finances publiques. Mobilisées sur cette manifestation,
les entreprises nationales de BTP n'ont toujours pas recouvert la totalité de
leurs créances. L'ardoise dépasse 100 milliards F CFA. De nombreux opérateurs
locaux (Entraco, Socoba-EDTPL, etc.) sont sous pression. Pour se faire régler,
d'autres groupes n'hésitent plus à passer par le "circuit court"
(terme utilisé pour décrire la possibilité de faire avancer un dossier au
Trésor en soudoyant les fonctionnaires).
L'énergie
sous tension.
Les grands groupes
internationaux sont aussi victimes du climat ambiant. Bouc-émissaire du régime
et cible favorite de la presse gouvernementale, la SEEG, filiale de Veolia (51%), ne parvient pas davantage à se
faire payer. Le 13 mai, elle a même eu droit à une violente sortie d’Etienne
Ngoubou. Le ministre de l’énergie a clairement soulevé l'hypothèse de la
dénonciation de la convention de concession signée en 1995 avec le groupe
français. Dès 2014, le gouvernement entend créer une société de gestion du
patrimoine dans le domaine énergétique avec une prédominance de capitaux
nationaux. En attendant, la SEEG attend quelque 12 milliards F CFA
correspondant au forfait de distribution gratuite d'eau prise en charge par
l'Etat. Un échéancier a été signé début avril avec le gouvernement de Raymond
Ndong Sima. Mais les autorités refusent de l'honorer… D'autres sociétés ne sont
pas mieux loties. Après la construction de la centrale thermique d'Alénakiri
(70 MW), l'israélien Telemania rechigne à effectuer l’entretien courant face à l'ampleur de ses créances.
Emblématique de cet environnement dégradé : des groupes internationaux comme le
géant de l’agro-industrie Olam, pourtant prompt à mettre en avant ses
réalisations au Gabon, vient de reporter la construction d’une usine de
fertilisation à Port-Gentil, seconde ville du pays.
Perspectives
pétrolières troubles.
La situation n’est guère
plus reluisante dans le pétrole. Les autorités sont animées du souci de faire
monter les intérêts nationaux. Légitime. Mais la manière forte utilisée
déstabilise durablement ce secteur stratégique, tout en raidissant les
investisseurs étrangers. Le Gabon s'apprête d'ores et déjà à connaître un
retentissant procès devant la CCI, à Paris, pour avoir réquisitionné en 2012 le
champ Obangue opéré par Addax. Cette chasse aux sorcières et les grèves à
répétition expliquent en partie la baisse des résultats de Total Gabon. Opérateur
historique, le groupe français affiche au premier
trimestre un repli de son chiffre d'affaires (- 6%, à 390 millions $) et de son résultat net
(- 4%, à 73 millions $). Signe de crispation, Petro-Gabon menace de ne plus
approvisionner certaines centrales suite à des impayés. Enfin, s'il répond à une stratégie plus globale de
désengagement du continent africain, le départ de BHP Billiton du Gabon
s'explique surtout par sa lassitude à attendre l'établissement d'une convention
lui permettant d'opérer le gisement de fer de Belinga (300 000 tonnes/an).
Source: La Lettre du Continent No 659, 22 Mai 2013.
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