#Gabon: Entrevue de Paulette Oyane Ondo parue de La Loupe du 20 Août 2013: Démocratie, corruption, misère...
Entrevue de Me Paulette Oyane Ondo
ITW DE P2O Parue dans le Journal La LOUPE de ce mardi 20 AOUT 2013
La LOUPE : - Au regard de la situation de peur, de misère...qui règne
dans le pays, et compte tenu de notre potentiel naturel et humain,
quelles sont les causes de ce paradoxe?
Réponse de P2O : la
formulation de vos questions me laisse souvent assez perplexe, et
m’oblige à une gymnastique intellectuelle pour trouver une réponse
articulée. En l’espèce et de prime abord, il n’y a pas de lien de
causalité entre " la situation de peur… qui règne dans le pays, et le
potentiel naturel et humain du Gabon". Une population peut en effet
vivre dans la peur dans un pays pour plusieurs raisons qui parfois ne
sont pas du fait direct de l’Etat ou du régime politique qui gère le
pays. Il en est ainsi dans le cas de la grande criminalité entretenue
par des gangs ou la Mafia qui terrorisent la population et même dans
certains cas qui terrorisent l’Etat lui-même et ses fondements. De
telle sorte que certains pays ou villes sont classés par des indicateurs
habilités comme des villes ou des pays les plus insécurisés au monde,
alors que ces pays sont riches et démocratiques et que des individus y
sont des citoyens.
Toutefois il est clair que quand la peur
règne dans un pays et que la population ne se sent pas en sécurité du
fait des gangs ou de la mafia alors même que l’on est dans un pays
riche et démocratique, c’est que l’Etat ne fait pas ou fait mal son
travail de protéger ses citoyens et ne leur assure pas la sécurité
nécessaire. Car c’est son rôle que de lutter contre des gangs et la
mafia afin d’y mettre un terme en éradiquant ce genre de phénomène.
Mais quand on réfléchit un peu plus en profondeur sur votre question,
il apparait alors que la peur dont vous parlez, même si on ne voit pas
tout de suite son lien de causalité avec le « potentiel humain et
naturel du Gabon », est du fait de l’Etat et du régime qui gère le pays
depuis plus de 45 ans. C’est la peur causée par les crimes rituels qui
restent impunis. C’est la peur causée par la difficulté voire
l’impossibilité de l’accès aux services sociaux de base par ceux qui
n’ont pas la chance d’être les privilégiés du régime. C’est la peur du
lendemain parce que les gabonais d’en bas, les mal nés sont convaincus
que leur lendemain ne sera jamais meilleur parce que leur bulletin de
vote ne peut pas changer leur vie dans la mesure où il n’est jamais
pris en compte. C’est la peur liée à la perte d’espoir parce que si on
n’appartient pas aux cercles du pouvoir, on n’a aucun espoir d’une vie
meilleure puisque vos capacités intrinsèques ne comptent pas et ne
peuvent pas changer votre vie quel que soit les efforts, le mérite, la
compétence dont vous pouvez faire preuve. Oui ! Cette peur-là est bel
et bien liée « au potentiel naturel et humain du pays » car elle
traduit le partage inéquitable des richesses du pays et la gestion
discriminatoire de la ressource humaine qui est pourtant l’une des moins
denses de la sous-région. Et donc l’accaparement par une infime
minorité de toutes les richesses du pays et la confiscation par la même
minorité du pouvoir politique.
Maintenant en ce qui concerne «
la situation de misère...qui règne dans le pays, et compte tenu de notre
potentiel naturel et humain » on voit immédiatement un lien de
causalité entre la misère de la population gabonaise, les richesses
naturelles dont regorge le pays et la faiblesse de la population en
termes de densité. C’est une situation qui est sans conteste possible
paradoxale. On ne comprend pas comment un pays qui a un PIB de plus de
8.000.000CFA par an et par habitant, ce qui veut dire que chaque
gabonais devait avoir plus de 600.000FCFA par mois juste… parce qu’il
est né gabonais. On ne comprend pas comment, avec un tel PIB, 500
femmes meurent en couche par an ; celles qui ne meurent pas en couche
accouchent à même le sol à cause de l’insuffisance ou du manque
d’infrastructures sanitaires. Et il ne s’agit là que de cas qu’on peut
recenser, l’arrière-pays où l’on ne voit un véhicule passer qu’une fois
tous les trois mois n’étant pas pris en compte.
Il y a 25% de
pauvreté absolue, c’est-à-dire qu’un gabonais sur 4 n’a strictement
rien, absolument rien, ceux qui vivent avec moins de 2 dollars
américains par jour c’est-à-dire moins de 1000 FCFA : ils ne peuvent pas
s’alimenter de manière régulière ni équilibrée, ils ne peuvent pas se
loger dignement, ils ne peuvent pas se vêtir décemment, ils sont
naturellement au chômage, d’ailleurs 24% de la population active est au
chômage. Sans parler du chômage des jeunes.
Ce paradoxe d’un
Gabon très très riche avec une population qui vit dans la misère n’est
pas une fatalité, il est lié à la conception du pouvoir politique. Il
faut savoir qu’un pouvoir qui n’est pas l’émanation du peuple ne prend
pas en compte les intérêts des citoyens puisque ceux –ci n’influent pas
sur le fonctionnement de l’Etat. C’est l’éternelle question de la
légitimité du pouvoir politique au Gabon. Il apparait qu’un pouvoir
politique est légitime lorsqu’il prend en compte les intérêts des
citoyens et que ceux-ci se reconnaissent en lui. Or, la prise en compte
des intérêts des citoyens dépend du fonctionnement de l’Etat. Et un Etat
dictatorial comme le Gabon n’a que faire des intérêts des populations.
Le régime politique gabonais considère qu’il n’a aucun compte à rendre
aux gabonais puisqu’il ne détient pas son pouvoir par la volonté du
peuple mais par la force et la terreur.
La LOUPE : Concrètement, comment y remédier?
Réponse de P2O : Dans un pays comme le Gabon, la réponse à cette
question consiste à affronter toute une série de défis dont le premier
qui est la mesure de toute chose consiste à faire en sorte que le
pouvoir politique devienne légitime et obtienne l’adhésion du peuple.
Pour un régime aussi vieux que celui du Gabon qui a institutionnalisé
la mal gouvernance, et érigé les contre-valeurs en valeurs c’est une
tâche herculéenne.
Toutefois, il ne se s’agit pas d’inventer
la roue. L’épreuve du temps et l’Histoire nous démontrent que la
solution au cas comme celui du Gabon est l’instauration de la
démocratie.
Malheureusement au Gabon la démocratie fait peur
parce qu’elle est considérée comme une atteinte aux privilèges de la
minorité qui a confisqué le pouvoir politique et aussi les richesses.
Cette minorité a donc peur de perdre le pouvoir, de perdre ses
privilèges, elle a même peur de son avenir car la démocratie rime avec
une justice indépendante et impartiale et le fait de rendre des comptes.
Mais si on veut vraiment changer les choses, on peut même commencer
par légitimer le pouvoir actuel en mettant en place les équilibres
nécessaires qui vont aboutir petit à petit à la démocratie : les
équilibres sociaux, les équilibres politiques et les équilibres
institutionnels, le tout avec un corps social conscient de sa
citoyenneté.
Comme vous pouvez le constater c’est tout un
programme qui est un vrai défi qui ne peut être relevé que par des
hommes et femmes d’Etat ayant la volonté d’écrire l’Histoire et de créer
une véritable Nation. Ce n’est pas à la portée du petit politicien
sans envergure qui ne pense qu’à ses intérêts matériels.
FIN DE L’ITW
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